[Dossier] Jouer ou gagner sa rentrée : l’ambiguïté des vacances scolaires

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[Dossier] Jouer ou gagner sa rentrée : l’ambiguïté des vacances scolaires
[Dossier] Jouer ou gagner sa rentrée : l’ambiguïté des vacances scolaires

Pour certains, elles riment avec liberté, jeux et insouciance. Pour d’autres, elles sont synonymes de travail, de responsabilité et parfois de survie. Au Togo, la période des grandes vacances ne se résume pas à un simple temps mort entre deux années scolaires. Elle devient un véritable révélateur social, où se dessinent les inégalités, les stratégies d’adaptation et les aspirations d’une jeunesse en quête d’équilibre entre légèreté et devoir.

Dans les quartiers de Lomé, de Kara ou d’Atakpamé, l’arrivée des grandes vacances se remarque facilement. Le nombre d’enfants dans les rues augmente, les terrains vagues se transforment en stades improvisés, et les vendeuses ambulantes ont plus souvent pour assistantes de jeunes élèves. Ce changement de rythme urbain correspond à une redéfinition des rôles : de l’élève en uniforme, l’enfant passe au statut de joueur, de commerçant, ou d’aide familiale.

Jouer ou gagner sa rentrée : l’ambiguïté des vacances scolaires
Jouer ou gagner sa rentrée : l’ambiguïté des vacances scolaires

Dans la capitale togolaise, à Agoè-Minamadou, Juste, 12 ans, entame ses vacances avec un ballon flambant neuf offert par son père. « Comme nous sommes en vacances, mon papa m’a acheté un ballon et je joue avec mes amis », confie-t-il, essoufflé après un match dans une ruelle sableuse. À Adidogomé, Joël et ses camarades de Terminale organisent des tournois de quartier avec leur propre ballon, acheté grâce à une cotisation collective. « On fait ça chaque année, ça nous permet de rester ensemble et de ne pas nous ennuyer », explique Joël.

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Mais à quelques kilomètres de là, les vacances prennent une autre tournure. À Zanguéra, Azia, une élève de seconde, vend du Koliko (igname frite) chaque matin sur le bord de la route. « Je fais ça pour économiser. À la rentrée, je m’achète mes petits besoins sans trop dépendre de mes parents », dit-elle avec maturité. Plus loin, Victoire, orpheline de père, parcourt la ville avec une bassine d’œufs durs sur la tête. « Je peux gagner jusqu’à 5 000 F CFA certains jours. C’est avec ça que je paie mes cahiers et ma scolarité. »

Entre la légèreté du jeu et le poids des responsabilités économiques, les vacances dessinent des trajectoires multiples. Si certains enfants en profitent pour s’amuser et respirer, d’autres y trouvent une brèche pour s’engager dans la vie active – par choix ou par nécessité. Ces expériences, parfois précoces, leur apprennent la gestion de l’argent, la discipline du travail, mais aussi la dure réalité de la précarité.

Un potentiel éducatif souvent négligé

Dans un pays où l’école reste encore un sanctuaire d’espoir pour de nombreuses familles, l’idée de laisser les enfants « ne rien faire » pendant deux mois semble contre-productive. Nombreux sont les éducateurs et parents qui considèrent les vacances comme un temps d’apprentissage informel, voire de responsabilisation.

« Oui, il est bon d’occuper les enfants pendant les vacances », affirme Madame Afoua, mère de trois enfants à Lomé. « Cela les empêche de s’ennuyer, mais surtout leur montre une autre facette de la vie. Apprendre une activité parascolaire, c’est souvent plus utile que de rester collé à un écran. »

Jouer ou gagner sa rentrée : l’ambiguïté des vacances scolaires
Jouer ou gagner sa rentrée : l’ambiguïté des vacances scolaires

Même son de cloche chez Sylvana, institutrice à l’école primaire. Pour elle, les enfants doivent comprendre la valeur de l’argent et du travail. « Travailler pendant les vacances leur montre que tout n’est pas gratuit. Cela développe leur autonomie, leur sens de l’effort, leur créativité. Mais il faut encadrer ces activités pour éviter toute exploitation ou accident. »

Le conseiller en éducation David Gathe Nyamikou insiste, lui, sur l’aspect structurant de ces expériences : « Autorisez vos enfants à faire de petits jobs. Ils prendront conscience de la difficulté à gagner de l’argent et développeront un sens plus aiguisé de la valeur des choses. » Mais il prévient : « Le projet scolaire doit toujours primer. Sinon l’enfant pourrait croire qu’il est déjà autonome et délaisser l’école. »

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Les vacances sont également un moment opportun pour cultiver d’autres formes d’intelligence : savoir-être, créativité, expression personnelle. Le coach Hippolyte Agblo insiste sur cette complémentarité entre apprentissages formels et informels. « Les vacances appartiennent à l’enfant. C’est à lui de dire ce qu’il veut en faire. Le rôle des parents, c’est de l’accompagner, de valider ou non ses idées, et de proposer un cadre structuré. »

À ce titre, certains établissements au Togo organisent des colonies de vacances éducatives, des stages d’initiation aux métiers, ou encore des sessions de rattrapage pour les élèves en difficulté. Mais ces initiatives restent rares, souvent réservées aux milieux urbains favorisés. Dans la majorité des cas, l’organisation des vacances repose entièrement sur les familles, avec des moyens limités.

Quel équilibre pour l’enfant ?

Pour d’autres voix, laisser l’enfant souffler est aussi une nécessité. Après neuf mois d’école, de devoirs et de rigueur, le corps et l’esprit ont besoin de répit. Monsieur Kouvahey, directeur d’école à Lomé, tempère ainsi l’approche utilitariste des vacances : « Les enfants doivent se reposer. Ce n’est pas le moment de leur imposer un autre rythme aussi rigide. L’ennui n’est pas mauvais en soi. Il stimule la créativité, permet à l’enfant de s’écouter. »

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Pour lui, il ne faut pas non plus couper complètement le lien avec l’école : « Un enfant qui a redoublé peut revoir ses anciens cours, corriger ses lacunes. Celui qui a réussi peut découvrir les notions de sa future classe. Mais cela doit être doux, sans pression. »

L’équilibre reste difficile à trouver. Trop de liberté, c’est le risque de dérive : les jeux violents dans la rue, l’exposition aux accidents, les influences néfastes. Trop d’encadrement, c’est le risque d’étouffer l’enfant, de le priver de cette respiration essentielle à sa croissance personnelle. Le défi est donc de conjuguer liberté et structure, initiative et encadrement.

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Dans les foyers, certains parents instaurent des emplois du temps souples, alternant tâches domestiques, jeux, activités créatives et révisions. Une manière d’instaurer un cadre rassurant sans imposer un second trimestre bis. « Les enfants aiment les routines. Même pendant les vacances, ils ont besoin de repères : heure du repas, du coucher, petites missions quotidiennes », estime Kouvahey.

Enfin, les vacances sont aussi un espace de construction citoyenne. C’est le moment où l’enfant peut participer à la vie familiale, aider aux tâches, organiser ses journées, gérer un petit budget. Ce sont ces moments simples – arroser les plantes, ranger ses affaires, cuisiner – qui forgent l’autonomie et le sens des responsabilités.

Les vacances, un temps pour mieux structurer

Les vacances scolaires au Togo sont loin d’être un simple interlude passif entre deux trimestres. Elles reflètent les inégalités sociales, les dynamiques familiales, et les aspirations éducatives du pays. Pour certains, elles sont une parenthèse enchantée. Pour d’autres, une lutte pour survivre ou avancer. Mais pour tous, elles sont une période de formation informelle, parfois brutale, souvent décisive.

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Mieux penser les vacances, c’est d’abord reconnaître leur rôle dans la construction de l’enfant. C’est aussi créer les conditions pour que tous puissent en profiter, apprendre, s’amuser, découvrir… sans mettre en péril leur avenir scolaire. Entre responsabilisation, liberté encadrée et ouverture au monde, les vacances peuvent et doivent devenir un véritable levier de développement humain.

En somme, une rentrée scolaire bien préparée commence… pendant les vacances.

TogoPost

 

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