Tribune Libre : Afrique-Asie : Alliances stratégiques et enjeux controversés

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Alors que le continent semble ouvrir les yeux (même si c’est toujours timide) pour désormais voir plus clair dans ses clauses de partenariat avec les puissances occidentales, d’autres puissances se positionnent. On évoque notamment l’occupation stratégique des puissances Asiatiques. Se défaire des puissances occidentales pour s’ouvrir à celles de l’Asie, alors que le continent dispose en vérité de tout pour dominer le monde, est pour l’Analyste togolais Carlos KETOHOU, une « problématique paradoxale » de l’Afrique. Dans une tribune, le Journaliste évoque les risques de ces nouveaux partenariats Afrique-Asie et propose des pistes de solutions pour une Afrique de demain sans dépendance économique, monétaire et technique. Lisez l’intégralité de sa réflexion.

Depuis plusieurs décennies, la scène mondiale assiste à une redistribution des cartes d’influence, particulièrement en Afrique. Les pays asiatiques, avec en tête la Chine, gagnent du terrain au détriment de l’Occident.
Cette évolution s’est matérialisée par des investissements massifs, des partenariats stratégiques et des initiatives diplomatiques comme le sommet Corée-Afrique, qui s’est tenu les 4 et 5 juin 2024.
Ce sommet a réuni à Séoul, un bon chapelet de chefs d’État africains venus exposer les potentialités de leurs États et aussi plaider pour une coopération en développement dont ils sont plus demandeurs.
Explicitement, les Chefs d’États africains sont venus, pour la plupart, exposer leurs problèmes et demander de l’aide. Une pratique peu honorable, mais  qui a toujours constitué le socle des relations entre l’Afrique et l’Occident et qui est de plus en plus contestée par une opinion panafricaine.

Le New-deal Sud-Coréen proposé en 2024

Le sommet Corée-Afrique de 2024 qui s’est tenu les 4 et 5 juin dernier dépasse la dimension d’un simple  sommet. C’est une véritable opération de charme  à l’endroit de l’Afrique. Un vaste programme appuyé par l’Agence coréenne de développement, la KOICA.
Il marque une étape importante dans les relations entre Séoul et le continent africain.
Ce rassemblement vise, selon les autorités coréennes, à renforcer les liens économiques, politiques et culturels entre la Corée du Sud et les pays africains,
Les discussions sont  centrées sur des domaines clés tels que les infrastructures, les technologies de l’information, l’éducation et la santé. Il se concentre pour l’essentiel sur les investissements dans les infrastructures telles que  des projets de construction de routes, de ponts, et de chemins de fer, essentiels pour le développement économique africain.  Géant technologique, l’État asiatique avec  les grandes firmes comme Samsung et LG mettent en avant des partenariats pour le développement des TIC en Afrique, visant à combler le fossé numérique.
La Corée du Sud s’intéresse à l’éducation et à la formation à travers des bourses et des programmes de formation destinées à renforcer les compétences locales, favorisant ainsi une main-d’œuvre qualifiée.
Dans le domaine de la santé, des initiatives pour améliorer les systèmes de santé africains sont discutées, avec des promesses de soutien matériel et de formation médicale. L’agriculture, la petite industrie sont également au cœur de ce sommet.
Pour ce sommet, la Corée du Sud a encore mis la main à la poche.
L’intervention coréenne en aide ou en investissement en Afrique s’évalue à des centaines de millions de dollars.
Depuis 10 ans, la Corée du Sud a engrangé environ 1 milliard de dollars en Afrique, pour 200 milliards de dollars pour la Chine, 30 milliards de dollars pour le Japon et 50 milliards de dollars de l’Inde.
Cependant, pendant la même décennie, les États-Unis ont décaissé 50 milliards de dollars, l’Union européenne 300 milliards, le Royaume-Uni 70  milliards et la France aussi 70 milliards de dollars pour l’Afrique. Comparés, les investissements asiatiques en Afrique durant ces 10 dernières années prennent le dessus sur les partenaires traditionnels occidentaux historiques du continent.
La question ne se pose pas au sujet du montant de l’intervention des pays étrangers.  C’est le paradoxe d’un continent qui a tout et qui est obligé de dépendre des aides des États moins nantis en ressources naturelles, qui intrigue.
La problématique du paradoxe africain
L’estimation des ressources naturelles dont regorge l’Afrique suscite des interrogations sur l’état de pauvreté et de dépendance du continent vis-à-vis des autres.
125 milliards de barils de réserves prouvées de pétrole, environ 503 trillions de pieds cubes de réserves de gaz naturel, 75 % des diamants mondiaux sont produits par l’Afrique, 22 % de réserves mondiales d’or.
Des pays comme l’Afrique du Sud possèdent 90 % des réserves de platine, la RDC, 60 % des réserves mondiales de coltan, la Zambie possède d’importantes réserves de cuivre, etc.
60 % des terres arables se trouvent en Afrique avec 17 % des forêts tropicales mondiales.
Le continent possède de vastes bassins hydrographiques dont le Nil, le  Congo, le Niger et le Zambèze et un grand potentiel en énergie renouvelable avec 3 000 heures de soleil par an et un potentiel éolien en Afrique du Nord très impressionnant.
L’Afrique est donc riche en ressources naturelles,  telles que le pétrole, le gaz, les minéraux précieux et les terres arables nécessaires pour son développement intégral.
Ironie du sort, c’est  le continent qui  demeure paradoxalement dépendant de l’aide et des investissements étrangers.
C’est le continent qui tend la main et qui est secoué par le départ massif de sa jeunesse vers l’Occident au risque de sa vie à travers les océans.
C’est le continent qui est frappé par la famine et les crises humanitaires.
Cette situation soulève plusieurs questions cruciales sur la gestion et l’exploitation des ressources du continent et le développement au sens propre de l’Afrique.

De la volonté d’une dépendance suicidaire

Dans l’exploitation de ses ressources, les pays africains sont souvent contraints de conclure des accords avec des puissances étrangères pour exploiter leurs ressources naturelles, en raison d’un manque de capacités techniques et financières locales.
Malgré l’abondance des ressources, les retombées économiques pour les populations locales sont souvent limitées. Les contrats désavantageux et la corruption endémique empêchent une distribution équitable des richesses.
Les interventions étrangères, qu’elles soient asiatiques ou occidentales, posent la problématique de la souveraineté africaine et de la capacité des pays du continent à contrôler leur propre destin économique et politique.

La montée des pays asiatiques : Alliances Stratégiques ou enjeux controversés ?

Alors que l’Afrique se tourne de plus en plus vers l’Asie, les pays asiatiques comme la Chine, l’Inde et la Corée du Sud offrent des alternatives aux partenariats traditionnels avec l’Occident.
Ces relations sont habituellement présentées comme des partenariats gagnant-gagnant, basés sur le respect mutuel et les intérêts communs. Une situation qui influence rigoureusement la géopolitique internationale sur les relations et les enjeux.
Les investissements asiatiques en Afrique, notamment dans les infrastructures et les industries extractives, sont massifs et surpassent généralement ceux des anciennes puissances coloniales.
Contrairement à l’Occident, qui conditionne traditionnellement son aide à des réformes politiques et économiques, au respect des droits de l’homme et à la bonne gouvernance,  les pays asiatiques adoptent une approche plus flexible. Celle-ci est  moins contraignante, moins interventionniste et largement plus libérale.
Les initiatives pour transférer des technologies et former la main-d’œuvre africaine contribuent à un développement plus durable et autonome, contrairement aux schémas d’expatriés occidentaux qui reviennent plus chers que les projets financés.
Cependant, cette nouvelle dynamique n’est pas exempte de critiques. Certains craignent que les partenariats avec les pays asiatiques puissent reproduire les schémas de dépendance et d’exploitation du passé, si des garde-fous ne sont pas mis en place pour garantir la transparence et l’équité. Ce qui impose à l’Afrique de trouver la bonne formule pour son développement.

Quelle solution pour l’Afrique ?

Le sommet Corée-Afrique est un exemple frappant de la montée en puissance des pays asiatiques en Afrique. Tandis que ces nouveaux partenariats offrent des opportunités inédites pour le développement du continent, ils soulignent également le paradoxe persistant d’un continent riche en ressources naturelles, mais souvent incapable de tirer pleinement parti de cette richesse.
Pour que ces relations portent leurs fruits, il est impératif que les pays africains renforcent leurs institutions, luttent efficacement contre la corruption et œuvrent pour une gestion transparente et équitable de leurs ressources. Seul un continent africain plus autonome et résilient pourra véritablement bénéficier de cette nouvelle ère de coopération internationale et s’imposer durablement dans les changements géopolitiques et économiques mondiaux.

Le jeu en vaut la Chandelle pour l’Afrique de demain. La dépendance économique, monétaire et technique ne peut favoriser le développement du continent noir.

Carlos KETOHOU 
Luxembourg, le 18 juin 2024

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