Le 23 août 2023 dans la soirée, le monde apprenait la mort d’Evguéni Prigojine dans un tragique accident d’avion près du village de Kujenkino, dans la région de Tver, au nord-ouest de Moscou. Cet homme, dont le nom résonnait dans les cercles du pouvoir russe, était loin d’être ordinaire. Chef cuisinier de renom, il avait réussi à gravir les échelons du pouvoir pour devenir un acteur clé au sein du cercle intime de Vladimir Poutine voir décisif dans la sécurité avec son groupe de mercenaires, WAGNER.
Prigojine, originaire de Saint-Pétersbourg (une ville qui s’appelait à l’époque Leningrad) comme Poutine, est passé de ses débuts en tant que cuisinier à la direction d’un empire, avec un accès direct à Vladimir Poutine. Toutefois, la guerre en Ukraine a inversé sa position, le plaçant dans une position inconfortable de rival potentiel ou de « menace N°1 ».
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Un parcours hors normes
Né dans les rues de Saint-Pétersbourg il y a 62 ans, Prigojine a connu une jeunesse tumultueuse, marquée par des délits et des crimes. Son parcours a été marqué par des périodes turbulentes, incluant des condamnations pour vol, fraude et même agression envers une femme. Des débuts tumultueux qui semblaient contraster avec la trajectoire qu’il allait emprunter.
Sa carrière a pris un tournant inattendu lorsqu’il a ouvert un stand de hot-dogs, puis des restaurants de renom, devenant ainsi le prestataire de repas pour Poutine lui-même et d’autres personnalités influentes telles que Jacques Chirac. Grâce à des prêts d’une banque d’État, Prigojine a étendu son empire culinaire jusqu’à la fourniture de repas scolaires, accumulant des contrats lucratifs.
De la cuisine à l’armée privée
Le surnom de « cuisinier de Poutine » n’était que la première étape du parcours étonnant de Prigojine. Cependant, son influence ne se limitait pas à la gastronomie. Il a créé en parallèle sa propre milice de mercenaires, connue sous le nom de Wagner, qui s’est impliquée dans des conflits en Afrique et en Syrie, suscitant des questions sur ses liens avec le pouvoir russe.
Bien que le lien entre Wagner et le Kremlin n’ait jamais été officiellement confirmé, les mercenaires de Prigojine sont devenus une force majeure lors de l’invasion en Ukraine, combattant aux côtés de l’armée russe.
De l’ascension à la chute
La guerre en Ukraine a accentué la médiatisation de Prigojine, qui s’est présenté comme un leader charismatique et intrépide. Son opposition ouverte aux décisions de l’armée russe l’a mis en conflit direct avec le gouvernement. L’armée, accusée de négligence envers ses propres troupes, a fait face à des critiques acerbes, et Prigojine n’a pas hésité à monter au créneau.
Il a pointé du doigt l’incompétence de l’élite, accusant celle-ci de priver les soldats des armes et des munitions nécessaires pour affronter le chaos. Ses mots tranchants résonnent encore : « Ce sont les pères et les fils de quelqu’un », avait-il déclaré, laissant entendre que les dirigeants devraient se rappeler que leurs actions impactent des vies.
Sa rébellion a atteint son apogée le 23 juin, lorsqu’il a orchestré une marche sur Moscou pour renverser le ministre de la Défense. Cette audacieuse entreprise a secoué le pays et a mis en lumière les tensions sous-jacentes au sein du pouvoir. Alors que Prigojine avait envisagé de se rendre à Moscou pour asseoir son autorité, il s’est finalement rétracté. Cette tentative a été perçue comme une trahison par Poutine.
Fin tragique de Evguéni Prigojine
Les aspirations de Prigojine ont été balayées par les vents de la rébellion, semant la discorde au sommet du pouvoir russe. Bien que le groupe Wagner ait été épargné, la milice a été évacuée vers la Biélorussie, tandis que le destin de Prigojine devenait de plus en plus obscur.
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Les jours suivants ont été teintés de mystère, avec des photographies énigmatiques circulant, suggérant que Prigojine avait élu domicile en Biélorussie, puis à Saint-Pétersbourg. Cependant, une vidéo a fait surface, filmée en Afrique, le 22 août, à peine 24 heures avant le tragique crash d’un avion dans lequel il se trouvait.
Cet accident fatal a mis fin aux rêves de Prigojine, qui aspirait à siéger au plus haut sommet du pouvoir russe, mais les réalités politiques au pays de Staline sont impitoyables et exigeantes. Sa quête ambitieuse pour le pouvoir l’a conduit à payer le prix ultime.
Accident ou assassinat maquillé en accident ?
Deux mois jour pour jour après la tentative de coup d’État orchestrée par Evgueni Prigojine, le mystère entoure sa mort dans un crash d’avion. En effet, les doutes persistent sur les circonstances énigmatiques de sa disparition. Une porte-parole du département d’État américain déclarait le mercredi 23 août que « personne ne devrait être surpris » de la mort de Evgueni Prigojine.
Réagissant à cet accident, le président américain Joe Biden a déclaré ne pas savoir précisément ce qui s’était passé. « Mais je ne suis pas surpris », a-t-il ajouté. « Pas grand-chose n’arrive en Russie sans que (Vladimir) Poutine soit derrière, mais je n’en sais pas suffisamment pour connaître la réponse ».
Le timing de l’accident attire l’attention, car, comme le souligne Régis Genté, journaliste spécialiste, « Moscou aime les dates symboliques ». Ce crash d’un Embraer – 135, reliant Moscou à Saint-Pétersbourg, a eu lieu deux mois après la tentative avortée de coup d’État par le groupe paramilitaire Wagner, dirigé par Prigojine. La question qui prévaut est donc : s’agit-il d’un accident tragique ou d’un assassinat soigneusement orchestré ?
Régis Genté, journaliste spécialiste, ne cache pas sa conviction : il considère cet événement comme un assassinat. Bien qu’il ne puisse pas fournir de preuves tangibles, il souligne une série d’indices troublants. Des habitants du village ont prétendu avoir entendu des détonations avant le crash, et le scénario de l’accident rappelle étrangement les méthodes de mise en scène du Kremlin.
Bien que la piste d’une implication ukrainienne ne soit pas à ignorer, le président Volodimir Zelensky, cité par l’agence Interfax-Ukraine, a indiqué que son pays n’y ait pour rien. « Nous ne sommes pas impliqués. Tout le monde sait qui est impliqué », a déclaré le président ukrainien à des journalistes ce jeudi 24 juin 2023.
Une trahison impardonnable
Le contexte politique ne peut être ignoré. Les membres de la milice Wagner ont récemment défié le commandement militaire de Moscou en tentant un coup d’État en juin. Cette rébellion a constitué l’un des plus grands défis au règne de Vladimir Poutine. Evgueni Prigojine, en tant que leader de la milice, a démontré des ambitions et une influence grandissante, remettant en question l’autorité du Kremlin.
Le lien entre Prigojine et Poutine est complexe. Le président russe a souvent exprimé que la trahison était impardonnable à ses yeux. Or, la tentative de coup d’État par Prigojine peut être interprétée comme une trahison envers le gouvernement. Cette perspective offre une justification possible à un acte radical tel qu’un assassinat.
Quid des membres de Wagner présents dans l’avion ?
Wagner n’a pas seulement perdu Evgueni Prigojine, mais aussi des figures clés de son état-major. Au cœur de cette tragédie aérienne, plusieurs noms émergent, chacun portant un héritage complexe et souvent troublant.
Dmitry Outkine
Agé de 53 ans, Dmitry Outkine avait gravé son nom dans les annales de la galaxie Prigojine. Son parcours militaire époustouflant avait débuté au sein de l’armée russe lors des guerres de Tchétchénie. Émergeant de ces conflits en tant que colosse aux tatouages SS, il avait ensuite intégré les services secrets militaires russes, opérant à la frontière estonienne. Sa carrière avait pris un tournant lorsqu’il s’était engagé comme mercenaire en Syrie sous la bannière de Slavia Corps. Cependant, son surnom de « tortionnaire » témoigne de son implication dans des crimes de guerre, jetant une ombre sombre sur son héritage.
Valéry Chekalov : Le bras-droit impliqué
Valéry Chekalov, souvent désigné comme le bras-droit de Prigojine, était un personnage central dans la machine Wagner. Les sanctions américaines le ciblaient pour ses liens présumés avec Prigojine et son rôle dans la facilitation de la livraison d’armes en Russie. À travers la société Evro Polis et Neva JSC, qui détenait des champs pétroliers en Syrie, Chekalov jonglait entre la gestion de la sécurité de Wagner et le rôle de fournisseur d’équipement et d’armes. Un homme d’affaires aux multiples facettes, mais souvent associé à des opérations controversées.
Yevgeny Makaryan : Du mercenaire au garde du corps
Yevgeny Makaryan, un mercenaire de longue date au sein de Wagner, a été dépeint comme l’un des gardes du corps de Prigojine. Son nom a été recensé sur un site ukrainien dénonçant les « ennemis de l’Ukraine ». Son implication dans la milice remonte à 2016, avant qu’il ne soit déployé en Syrie en 2017. Makaryan incarne le lien complexe entre le monde des mercenaires et le cercle rapproché de Prigojine.
Alexander Totmin : Un parcours au Soudan
Un autre nom qui émerge de l’obscurité est celui d’Alexander Totmin. Également un mercenaire qui a évolué en tant que garde du corps de Prigojine, Totmin a connu des missions variées, dont une présumée mobilisation au Soudan. Son rôle dans les opérations et les cercles intérieurs de Wagner contribue à la toile complexe de l’organisation.
Steven Wilson